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La notion d’artiste chercheur :

Quelles implications pour l’enseignement ?

 

Naomi Middelmann, artiste plasticienne, enseignante

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Alors que l'enseignement des arts visuels s'intéresse souvent à l'art comme moyen de transmettre des techniques artistiques, de développer la motricité fine, d'analyser des œuvres d'art au travers de leur présence dans l’histoire, il existe un nombre de plus en plus important d'artistes, de philosophes et de scientifiques qui s'intéressent au processus créatif comme élément intéressant dans son éventuelle application dans d’autres domaines. Certains considèrent la démarche artistique et tout ce que cela sous-entend comme ayant des points communs avec la recherche de type scientifique. Bien sûr, les méthodes et intérêts divergent, mais cette ouverture sur l’inconnu comme l’écrit Stuart Firestein, Professeur de biologie à l’université de Columbia, est applicable non seulement à la science, mais aussi aux arts : « Etre un scientifique demande de faire confiance aux incertitudes, trouver du plaisir dans le mystérieux, et apprendre à cultiver le doute. Il n’y a pas de moyen plus sûr pour ruiner une expérience que d’être sûr de ce qui va en être le résultat. Au contraire, la vraie science est une révision en cours, toujours. Elle avance par à-coups d’ignorance. » (Firestein, 2012, p. 15).

Par ailleurs, le physicien et mathématicien Max Born (1882-1970), en recevant le Prix Nobel en 1954, a déclaré: « La Science n’est pas une logique formelle - elle a besoin de la liberté de l’esprit autant que tout autre art créatif. » Nous pourrions dire la même chose dans l’apprentissage des arts visuels. Dans son chapitre sur le processus créatif, James Baldwin écrit : « Les deux cherchent des réponses de façon profonde. On sait que le laboratoire du scientifique et l’atelier d’artiste sont les deux derniers endroits réservés à une recherche qui est ouverte vers l’inconnu, où les échecs font partie du processus, où l’apprentissage se fait continuellement entre faire et penser, questionner, faire et penser à nouveau. »

 

Alors que les bénéfices de l’apprentissage de la musique sont bien connus, c’est récemment que des études neuroscientifiques commencent à démontrer les bénéfices des apprentissages des arts visuels comme aide à l’apprentissage du langage, de la compréhension des notions abstraites. Ou encore pour développer les compétences à trouver des solutions entre une idée initiale et sa mise en œuvre. Le travail de l’artiste demande notamment des compétences d’observation et de perception, mais aussi des compétences de raisonnement, d’accès à une mémoire de travail complexe, et des capacités d’analyse critique. L’aptitude à tolérer l'ambiguïté et l'incertitude au cours du processus créatif est un trait mental important, qui est aussi nécessaire dans une variété de disciplines académiques (Ch. W. Tyler, L. T. Likova, 2012). C'est sans doute pour cette raison notamment que les artistes sont de plus en plus invités par les milieux scientifiques et économiques pour y apporter leurs compétences et capacités à réfléchir autour de problèmes.

 

Par ailleurs, récemment les écoles de médecine de Harvard, Yale et Stanford aux Etats-Unis requièrent que des cours d’arts visuels soient donnés aux futurs médecins pour leur encourager à développer leur capacité d’observation, d’empathie et pour les enseigner à considérer les problèmes sous des angles différents.

 

En prenant en compte ces études scientifiques, ne devrions-nous pas questionner la manière dont nous abordons l’enseignement des arts visuels ? En effet, pourrions-nous utiliser cette discipline pour encourager nos élèves à expérimenter, tester et observer les possibilités ? Selon l’âge et la capacité des étudiants, Felix de la Durantaye propose une réflexion autour du processus en posant des questions telles que : Pourquoi créer ? Qu’est ce qui m’amène à la création ? Qu’est ce qui m’inspire ? Comment est-ce que je réfléchis à une idée ? Puis une fois l’œuvre finie, des questions comme : Quelle était mon idée de départ et comment j’ai dû l’adapter aux contraintes du support?  Quels étaient les imprévus avec lesquels j’ai dû négocier ? Qu’est-ce que j’ai pu observer pendant la création et qu’est-ce que j'observe une fois la création finie? Quels liens est-ce que je fais entre ma création et celle d’autres artistes?  Je propose pour des enfants plus jeunes d’avoir des séances où ils pourraient tester diverses techniques et supports pour observer les différences, les possibilités et les contraintes. Par exemple entre un papier très fin et un papier aquarelle, quelles possibilités permettent-ils, quelles observations pouvons-nous faire ?

 

Les arts visuels, tels que je les conçois dans les cours que je donne aux enfants et adolescents permettent à la fois l’apprentissage de techniques artistiques, le développement de la motricité fine, de capacités d’observation et de connaissances en histoire de l’art, mais aussi permettent des temps de recherche ouverts à l’expérimentation. Dans ces moments, j’encourage mes élèves à faire des expériences, à tester, observer tout en s’observant, négocier les difficultés éventuelles entre idées de départ et les contraintes des matériaux tout en encourageant à trouver leurs propres solutions. L’idée étant que les outils des arts visuels leurs donnent seront applicables dans quel que soit le domaine dans lequel ils choisiront de poursuivre un jour.

 

 

Bibliographie

 

Baldwin, J. (1962). The creative Process, The creative America, Ridge Press

De la Durantaye, F. (2010). Vers une théorie philosophique du processus créatif artistique

De la Durantaye, F. (2012). La théorisation de la créativité au service de l’éducation en art

Eisner, E. W. (2012). The Arts and the Creation of Mind, Yale University Press

Firestein, S. (2012). Ignorance and how it drives science, New York, Oxford University Press

Tyler, Ch., W. & Likova, L.T. (2012). The Role of the Visual Arts in : Enhancing the Learning Process Frontiers Human Neuroscience, Front. Hum. Neurosci., 8 February | https://doi.org/10.3389/fnhum.2012.00008

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